Revirement de la Cour de cassation sur le cautionnement d’un compte courant, précisions sur la notion d’abus d’usufruit, condamnation de Google pour abus de position dominante… On fait le point sur les actualités de septembre en droit des sociétés.
Table des matières
Cession de parts sociales et devoir d’information
Le 18 septembre dernier, la chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass.com, n°22-18.436) a jugé que le cessionnaire de parts sociales est fondé à invoquer la nullité de la cession sur le fondement de la réticence dolosive, soit l’omission volontaire par un cocontractant d’une information essentielle. Sans qu’il ne soit possible, pour le cédant, d’invoquer le fait que le cessionnaire aurait dû se renseigner sur la situation financière de la société acquise.
Les faits étaient les suivants : à la suite d’une cession de parts sociales, un cessionnaire a assigné un cédant en annulation de la cession, au motif que ce dernier avait commis une réticence dolosive sur la situation financière de la société cédée. La cour d’appel avait rejeté cette demande : l’acheteur, qui disposait d’une longue expérience dans la gestion des sociétés, aurait commis une erreur inexcusable en ne se renseignant pas sur la situation financière de l’entreprise.
Pour la Haute Juridiction, la Cour d’appel, en constatant qu’il pesait sur le cessionnaire une obligation renforcée de se renseigner sur la situation de la société qu’il acquérait, si bien qu’en l’absence de toute démarche de sa part, le silence du cédant sur l’existence de dettes et de contrats liant cette société à des tiers ne constitue pas une dissimulation volontaire de la situation financière de la société pouvant caractériser un dol, n’a pas donné de base légale à sa décision.
Cet arrêt rappelle le principe établi selon lequel la réticence dolosive rend toujours excusable l’erreur provoquée. Et invite à la prudence les contractants dans leurs relations pré-contractuelles…
Entreprises en difficulté : la Cour de cassation opère un revirement sur le cautionnement d’un compte courant
C’est un arrêt qui devrait retenir l’attention de tous ceux qui portent un intérêt au droit des entreprises en difficulté.
En l’espèce, un établissement bancaire, après avoir déclaré sa créance, assigne en paiement l’organisme financier qui s’était porté garant des engagements d’une société mise en liquidation judiciaire envers la banque.
Selon l’article L. 641-11-1, I, alinéa 1er du Code de commerce, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d’un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l’ouverture ou du prononcé d’une liquidation judiciaire.
Un précédent arrêt de la Cour de cassation avait jugé que le compte courant d’une société étant clôturé par l’effet de sa liquidation judiciaire, il en résultait que le solde de ce compte était immédiatement exigible de la caution (Cass. com., 13 déc. 2016, n° 14-16037). La solution de cet arrêt n’a pas été reprise par la jurisprudence ultérieure.
En effet, le compte courant non clôturé avant le jugement d’ouverture constitue un contrat en cours, de sorte qu’en l’absence de disposition légale contraire, l’article L. 641-11-1, I, alinéa 1er du Code de commerce lui est applicable.
Après avoir énoncé que le compte courant était un contrat en cours, sa résiliation ne pouvant donc résulter de l’ouverture de la liquidation judiciaire, l’arrêt de la Cour de cassation du 11 septembre 2024 en déduit que la clôture du compte n’étant pas intervenue, le solde n’est pas devenu exigible, de sorte que la caution n’est pas tenue. La Cour de cassation abandonne donc sa précédente jurisprudence en jugeant que l’ouverture ou le prononcé d’une liquidation judiciaire n’a pas pour effet d’entraîner la clôture du compte courant du débiteur.
Condamnation de Google Shopping pour abus de position dominante
Par un arrêt du 10 septembre 2024, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a confirmé la condamnation de Google Shopping pour abus de position dominante. Elle donne ainsi raison à la Commission européenne qui avait prononcé cette sanction record en 2017. Le géant américain devra bel et bien payer une amende de 2,4 milliards d’euros pour des pratiques anticoncurrentielles sur le marché des comparateurs de prix sur Internet.
Il était reproché à Google d’avoir abusé de sa position dominante sur plusieurs marchés nationaux de la recherche en ligne, en favorisant son propre service de comparaison de produits, Google Shopping, par rapport à celui de ses concurrents.
Dans son arrêt, la CJUE rappelle que le droit de l’Union sanctionne non pas l’existence d’une position dominante en elle-même, mais bien son exploitation abusive. C’est notamment le cas lorsqu’elle adopte un comportement discriminatoire contraire à la concurrence par les mérites, causant un préjudice aux entreprises et aux consommateurs.
Cette affaire est emblématique en ce qu’elle constitue la toute première affaire antitrust européenne. Hasard du calendrier (ou pas), la décision de la CJUE tombe au même moment que le prononcé d’une sanction contre Apple, condamné à rembourser 13 milliards d’euros d’avantages fiscaux indus. Les géants américains savent désormais à quoi s’en tenir.
Les précisions de la Cour de cassation sur la notion d’abus d’usufruit
Dans cette affaire, l’un des usufruitiers d’une SCI ayant cédé les biens immobiliers dont elle était propriétaire soutenait que cette cession emportait dissolution de la société. Il assigne donc la SCI et les autres propriétaires de parts en dissolution et désignation d’un liquidateur.
Il agit également en nullité des délibérations des assemblées générales relatives à l’affectation du produit de la vente et à l’approbation des comptes, à la distribution des dividendes et à l’affectation du solde restant, et sollicite l’indemnisation de son préjudice.
Que répond la Cour de cassation ? Dans un arrêt rendu le 19 septembre dernier (Cass.civ, 19 septembre 2024, n° 22-18.687), la Haute Juridiction estime qu’il résulte des articles 578 et 582 du Code civil que si l’usufruitier a droit aux fruits générés par la chose objet de l’usufruit, il a l’obligation de conserver la substance de cette chose.
Par ailleurs, aux termes de l’article 1832 du Code civil, la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice qui pourra en résulter. La distribution, sous forme de dividendes, du produit de la vente de la totalité des actifs immobiliers d’une SCI affecte la substance des parts sociales grevées d’usufruit en ce qu’elle compromet la poursuite de l’objet social et l’accomplissement du but poursuivi par les associés.
Par conséquent, dans le cas où l’assemblée générale décide une telle distribution, le dividende revient, sauf convention contraire entre le nu-propriétaire et l’usufruitier, au premier.
Dès lors, la décision de distribuer les dividendes prélevés sur le produit de la vente de la totalité des actifs immobiliers d’une SCI, à laquelle a pris part l’usufruitier, ne peut être constitutive d’un abus d’usufruit.
Devoir de vigilance : création d’une nouvelle chambre au Tribunal judiciaire de Paris
C’est par un communiqué en date du 17 septembre 2024 que le Tribunal judiciaire de Paris a annoncé s’être doté d’une 34e chambre intitulée “chambre de la régulation sociale, économique et environnementale” à compter du 2 septembre 2024.
Pour rappel, l’article 56 de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire avait donné compétence exclusive sur l’ensemble du territoire national au Tribunal judiciaire de Paris pour connaître des actions fondées sur ces dispositions légales.
Cette 34e chambre a donc vocation à traiter des contentieux relatifs à la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. Elle statuera sur le fond, mais aussi en référé.
La création de cette chambre s’inscrit dans un contexte de renforcement des responsabilités sociales des entreprises, symbolisé notamment par l’adoption en juillet dernier de la directive européenne sur le devoir de vigilance, qui impose aux grandes entreprises de prendre en compte les incidences de leurs activités sur les droits humains et l’environnement.
Transfert de propriété d’actions non cotées : quand le cessionnaire devient-il actionnaire ?
Par un arrêt rendu le 18 septembre dernier (Cass.com, n°23-10.455), la Cour de cassation s’est prononcée sur le transfert de propriété d’actions non cotées.
Les faits étaient les suivants : un associé de SAS cède une partie de ses actions à un couple qui, trois ans plus tard, demande la désignation d’un mandataire ad hoc chargé de convoquer une assemblée générale. La société oppose à cette demande une fin de non-recevoir, le couple n’ayant selon elle pas la qualité d’associé.
La Cour d’appel de Pau écarte cet argument et accueille la demande par application de l’article 1583 du Code civil relatif au contrat de vente. Aux termes de ce texte, la vente est parfaite entre les parties et la propriété acquise à l’égard du vendeur dès lors qu’on a convenu de la chose et du prix.
La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel sur le fondement des articles L 228-1 et R 228-8 à R 228-10 du Code de commerce. Pour la première fois, elle indique que, par « inscription au compte de l’acquéreur », il faut entendre soit une inscription au compte-titres individuel de l’acquéreur dans les livres de la société, soit une inscription sur le registre de titres nominatifs. En matière de cession d’actions non cotées, le transfert de propriété, duquel découle la qualité d’associé ou d’actionnaire, résulte donc de l’inscription des actions en compte : “le cessionnaire acquiert la qualité d’actionnaire à la date effective de l’inscription, par la société émettrice, des actions cédées au compte individuel de l’acheteur ou sur les registres de titres nominatifs qu’elle tient”.
Par cet arrêt, la Haute Juridiction fait sienne la position de l’Association nationale des sociétés par actions (Ansa) qui s’était déclarée en faveur d’une interprétation large de la notion d’inscription au compte de l’acquéreur, englobant le compte-titres individuel et le registre de titres nominatifs tenus par la société.
La fraude du débiteur autorise la reprise des poursuites contre lui après la liquidation judiciaire
Dans un arrêt rendu le 11 septembre dernier (Cass.com n°23.11.333), la Cour de cassation s’est prononcée sur la capacité d’un créancier à poursuivre, après liquidation, un débiteur lui ayant sciemment dissimulé une créance et la procédure en cours.
Lorsque la liquidation judiciaire d’une entreprise est clôturée pour insuffisance d’actif, les créanciers ne recouvrent pas l’exercice individuel de leurs actions contre l’entreprise. Mais, en cas de fraude à l’égard d’un ou plusieurs créanciers, le tribunal peut-il autoriser la reprise des actions individuelles de tout créancier à l’encontre du débiteur ?
Pour la Haute Juridiction, la reprise de l’action du créancier est possible après la liquidation judiciaire, dès lors que le débiteur lui avait intentionnellement caché une créance et l’existence d’une procédure de liquidation en cours. La fraude du débiteur ne suppose pas la caractérisation de l’intention de nuire : comme l’a posé un précédent arrêt de la Cour de cassation, la conscience de causer un préjudice à ce dernier suffit (Cass.com, 26.6.2019, n°17.31.236).
Année 2024 : vers un nombre record de défaillances d’entreprises ?
Avec 33 493 défaillances d’entreprises constatées au premier semestre, soit une hausse de 18% sur un an, l’année 2024 devrait atteindre un record.
Comment expliquer cette recrudescence ? Tout d’abord, il existe un effet de rattrapage de la chute des procédures collectives ouvertes durant la crise sanitaire en 2020 et 2021. Ensuite, le contexte économique (hausse des taux d’intérêt et accès limité au crédit, recul du marché immobilier…) a mis en difficulté certaines entreprises, comme les agences immobilières ou encore les études de notaire. Par ailleurs, l’augmentation du coût des matières premières et de l’énergie a également constitué un obstacle pour de nombreuses entreprises.
A la fin de l’année 2024, le volume des défaillances devrait probablement atteindre le seuil significatif des 65 000 entreprises. Habituellement, on compte en moyenne entre 50 000 et 55 000 défaillances sur un an. Mais certaines années particulières, comme 2008 ou 2015, voient le nombre des défaillances grimper en raison d’une conjoncture économique défavorable.
Il est intéressant de noter que 94 % des entreprises concernées par les défaillances sont des TPE, soit des entreprises ayant entre 0 et 10 salariés.