Précisions sur le devoir de vigilance, réforme du cadre des sociétés d’avocats… On fait le point sur les actualités du droit des sociétés de l’été 2024, et ce qu’il faut retenir en cette rentrée.
Réforme du cadre réglementaire des sociétés d’avocats
C’est un décret qui s’impose comme une réforme majeure du cadre réglementaire des sociétés d’avocats. Publié le 14 août dernier en réponse à l’ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023, il vise à simplifier les conditions sous lesquelles les avocats peuvent s’organiser en sociétés pour l’exercice de leur profession.
A noter que la réforme concerne : les sociétés civiles professionnelles (SCP), les sociétés en participation (SEP), les sociétés d’exercice libéral (SEL), et les sociétés de participation financière de profession libérale (SPFPL).
Voici ce qu’il faut retenir.
- Les modifications statutaires au sein des sociétés civiles professionnelles (SCP) et des sociétés d’exercice libéral (SEL) nécessitent désormais une majorité des deux tiers des associés, contre trois quarts antérieurement.
- Les SEL sont tenues de rapporter annuellement la composition de leur capital social et tout changement significatif à leur conseil de l’Ordre, ce qui permet de renforcer la surveillance réglementaire et la conformité éthique.
- Le décret précise les règles applicables aux sociétés en participation d’avocats (SEP). Ainsi, la SEP peut être composée de personnes physiques ou morales.
- Chaque année, les SPFPL doivent adresser à l’Ordre professionnel concerné un état de la composition du capital, des droits de vote, les statuts à jour, ainsi que les pactes lorsque les clauses relatives à l’organisation et aux pouvoirs des organes de direction, d’administration ou de surveillance ont été modifiées. Est également mis en place un délai de régularisation d’un an, dans l’hypothèse où l’objet de la SPFPL viendrait à ne plus être rempli, faute de participation dans des structures d’exercice de PLR.
- Le droit de retrait se voit réglementé. Le décret met ainsi en place un délai de 6 mois pour la cession des parts des associés, pour prévenir les situations où la liquidité des parts sociales pourrait être compromise.
- Enfin, le décret ouvre les modalités de transmission des actes relatifs à la vie d’une société en prévoyant qu’ils peuvent être transmis par tout moyen (papier ou électronique) qui confère date certaine à sa réception. Sont notamment visés les actes transmis entre la société ou l’un de ses associés avec les Ordres (demandes d’inscription, etc).
Ces nouvelles règles sont entrées en vigueur le 1er septembre 2024, avec un délai de mise en conformité d’un an. Les cabinets d’avocats sont invités à mettre à jour leurs statuts et à former leurs membres à ces nouvelles modalités.
Vers une fermeture prochaine de l’accès au registre des bénéficiaires effectifs
Depuis le 1er décembre 2016, en application de la réglementation européenne, le Code monétaire et financier impose aux sociétés françaises de déclarer au registre du commerce et des sociétés leur(s) bénéficiaire(s) effectif(s), ceux-ci étant définis comme « la ou les personnes physiques qui soit détiennent, directement ou indirectement, plus de 25 % du capital ou des droits de vote de la société, soit exercent, par tout autre moyen, un pouvoir de contrôle sur la société ».
Aujourd’hui en France, les informations relatives aux bénéficiaires effectifs des sociétés, consignées dans un registre spécifique, sont publiques. Cela signifie que toute personne peut y avoir accès gratuitement, sans avoir à fournir un motif légitime, ni à justifier de son identité. Cet accès est effectif depuis l’année 2021.
Mais cet accès du grand public devrait prendre bientôt fin, dès la fin du mois de juillet 2024. Contrainte par une décision judiciaire européenne, la France va en effet fermer l’accès au grand public du registre des bénéficiaires effectifs.
De quoi, sans doute, porter un coup à la transparence financière, ce registre étant particulièrement utilisé par les journalistes qui enquêtent sur la corruption et les délits financiers.
Devoir de vigilance : les précisions de la cour d’appel de Paris
Le 18 juin dernier, la Cour d’appel de Paris a rendu trois arrêts sur le devoir de vigilance concernant les sociétés Total Energies, EDF et Vigie groupe.
Pour rappel, le devoir de vigilance désigne une obligation créée par la loi du 27 mars 2017. Celle-ci impose aux grandes entreprises d’établir et de mettre en œuvre un plan de vigilance relatif aux risques de leur activité sur les droits humains et les libertés fondamentales, ainsi que l’environnement.
En l’espèce, plusieurs associations et personnes physiques avaient assigné les entreprises susmentionnées pour demander la rédaction d’un nouveau plan de vigilance. Elles considéraient en effet que les entreprises n’avaient pas prévu de mesures suffisantes, eu égard à la nature de leurs activités.
La Cour d’appel devait se prononcer sur des questions de procédure, parmi lesquelles : la mise en demeure est-elle requise, à peine de fin de non-recevoir ? La réponse est affirmative : « […] la mise en demeure prévue par l’article L225-102-4,II du code de commerce constitue un préalable obligatoire à la saisine du juge et donc une condition de recevabilité de l’action […] ».
L’autre question qui se posait était la suivante : qui a qualité pour agir ? La décision rendue dans l’affaire Total offre un nouvel éclairage. En effet, la Cour d’appel rappelle que les intérêts défendus doivent entrer dans l’objet statutaire des associations. Concernant les communes, celles-ci sont déclarées irrecevables : « l’action entreprise a pour objet un intérêt public global, qui excède le simple intérêt local dont les communes doivent justifier pour être recevables à agir […] ». Autre point à noter : « seule la démonstration d’une atteinte ou d’un retentissement particulier du réchauffement climatique sur le territoire de la commune concernée, permet de caractériser un intérêt public local et partant de justifier d’un intérêt à agir pour les collectivités territoriales ».
Enfin, la Cour rappelle dans sa décision que seule la société mère qui était l’auteure du plan de vigilance est débitrice de l’obligation, conformément à l’esprit de la loi de 2017. Pour autant, le statut de filiale n’est pas exclusif de la qualité de débiteur de cette obligation : ainsi, la défaillance de sa société-mère fait obstacle à l’exemption et laisse sa charge peser sur la filiale qui remplit les conditions de seuil.
Décret du 7 juillet 2024 : de nouvelles obligations pour les TUP et dissolutions
Pour contrer les abus de certaines entreprises qui utilisent la TUP (transmission universelle du patrimoine) pour échapper à leurs obligations fiscales et sociales, le décret du 7 juillet 2024 est venu apporter des modifications significatives à cette procédure. Que faut-il retenir ?
Pour rappel : La transmission universelle de patrimoine (TUP) est une procédure qui permet de dissoudre une société sans passer par la liquidation. Le patrimoine de la société dissoute est donc automatiquement transféré à une autre société. Seules les sociétés commerciales dont l’associé unique est une personne morale peuvent en bénéficier.
Ce qui change : Le décret du 7 juillet rend obligatoires la publication au BODACC de la dissolution donnant lieu à une procédure de TUP, et la production d’attestations de régularité sociale et fiscale lors de la clôture de la procédure de liquidation.
La publication de la dissolution au BODACC
La publication de la dissolution entraînant une procédure de TUP au BODACC est désormais obligatoire (antérieurement, seule une annonce dans un journal d’annonces légales était requise). Cette modification vise à améliorer la transparence et la visibilité de la procédure, et à garantir que les parties prenantes soient correctement informées.
La production d’attestations de régularité sociale et fiscale
Auparavant, il n’était pas obligatoire pour une société de prouver qu’elle n’avait pas de dettes et qu’elle possédait suffisamment d’actifs pour régler la totalité de son passif. Pour éviter les fraudes, le décret vient mettre en place de nouvelles mesures visant à assurer la transparence financière.
Au moment de la réalisation de la TUP, la société doit ainsi déposer :
- Les comptes définitifs ;
- La décision des associés ;
- Une attestation de régularité sociale prouvant que la société dissoute est à jour du règlement de ses cotisations sociales (en vertu de l’article 243-15 du Code de la sécurité sociale) ;
- Une attestation fiscale prouvant qu’elle est à jour du règlement de ses impôts et de ses taxes.
Ces nouvelles obligations entrent en vigueur dès le 1er octobre 2024.
Notion de parasitisme économique : la mise au point de la Cour de cassation
Le parasitisme est un acte de concurrence déloyale que la Cour de cassation définit comme “l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire” (Cass. com., 26 janvier 1999, 96-22.457).
Il revient à celui qui se dit victime d’actes de parasitisme d’identifier la valeur économique individualisée qu’il invoque (Cass. com., 26 juin 2024, n° 23-13535), ainsi que la volonté d’un tiers de se placer dans son sillage (Cass. com., 3 juill. 2001, n° 98-23236).
Dans l’affaire récemment jugée par la Cour de cassation, le 26 juin dernier, la société Maisons du monde soutenait que des objets mis en vente dans certains supermarchés reproduisaient un décor créé par son bureau de style en 2010. Elle assigne donc les sociétés de grande distribution en paiement de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et parasitisme.
L’arrêt relève que les objets commercialisés par Maisons du monde étaient composés de différents clichés, disponibles libres de droit sur internet. Ils étaient par ailleurs commercialisés sur une période limitée, et n’ont pas été mis en avant comme étant emblématique d’une collection en particulier. Enfin, rappelle la Cour, les objets en question n’étaient pas caractéristiques de l’univers de la marque. La société Maisons du monde n’ayant pas produit une valeur économique identifiée et individualisée, aucun acte de parasitisme n’a été commis.
Par cet arrêt, la Cour de cassation met donc en place une définition unifiée du parasitisme, en faisant de la valeur économique individualisée un élément central de cette notion.
Une forme de flou persiste néanmoins : en effet, la valeur économique individualisée, élément défini comme central et préalable, reste encore à définir.