Les mois de juin et juillet 2023 ont été rythmés par des textes importants dans le domaine du droit des sociétés. Une décision de la Cour de cassation a clarifié la notion d’abus d’égalité au sein des sociétés par actions simplifiées (SAS), tandis qu’une autre a souligné l’engagement personnel d’un dirigeant lorsqu’il avalise un billet à ordre. Par ailleurs, la procédure de secours du Guichet Unique a été prolongée jusqu’à la fin de l’année 2023, un nouveau décret a introduit le code de déontologie des greffiers des tribunaux de commerce, et de nouvelles obligations de déclaration fiscale ont été imposées aux entreprises multinationales.
Table des matières
Le code de déontologie des greffiers des tribunaux de commerce
Le code de déontologie des greffiers des tribunaux de commerce, régi par le décret n°2023-609 du 13 juillet 2023, a été publié au Journal officiel le mardi 18 juillet 2023.
Ce code s’aligne sur la demande de transparence imposée par le législateur aux professions règlementées, tel que stipulé dans l’article 41 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, visant à renforcer la confiance dans l’institution judiciaire.
Le code énonce les principes et les devoirs régissant l’exercice de la profession de greffier de tribunal de commerce, notamment en ce qui concerne les relations au sein des juridictions et avec le ministère public, ainsi que les interactions avec les usagers du service public, les justiciables et les chefs d’entreprises.
Il est important de noter que ce code de déontologie a été élaboré en prenant en considération les recommandations du collège de déontologie des greffiers des tribunaux de commerce, qui ont été émises le 2 août 2022. Selon l’article 24, ce texte entrera en vigueur le 1er novembre 2023, soit le premier jour du troisième mois suivant sa publication.
Assemblée nationale : approbation de l’expérimentation des tribunaux des activités économiques
Les activités commerciales et artisanales relèvent à l’heure actuelle des tribunaux de commerce, où siègent des juges non professionnels. Les autres activités économiques sont, quant à elles, du ressort du tribunal judiciaire, qui est composé de juges professionnels.
Cette distinction a provoqué des débats et a suscité des interrogations quant à la compétence et à l’expertise des juges chargés de traiter les litiges et défaillances dans ces différents domaines.
Le jeudi 6 juillet 2023, lors de l’examen d’un projet de loi sur la justice, l’Assemblée nationale s’est prononcée en faveur de l’expérimentation controversée des « tribunaux des activités économiques » (TAE) pour une période de quatre ans. Cette expérimentation vise à élargir les compétences des tribunaux de commerce, en incluant notamment les professions agricoles dans leur champ d’action.
Cette initiative a été accueillie avec appréhension, notamment dans le secteur agricole. En effet, la députée Cécile UNTERMAIER, représentant la 4ème circonscription de Saône-et-Loire, a souligné que le monde agricole était satisfait du rôle juridictionnel rempli par le tribunal judiciaire.
Guichet Unique : la procédure de secours prolongée jusqu’au 31 décembre 2023
Depuis le 1er janvier 2023, l’utilisation du Guichet Unique est obligatoire pour toutes les formalités des entreprises.
Cependant, en raison de problèmes techniques, un arrêté du 17 février 2023 a permis le recours à Infogreffe pour les formalités de modification, de cessation et de dépôts d’actes, jusqu’au 30 juin 2023.
Un nouvel arrêté du 27 juin 2023, publié au Journal officiel du 29 juin, prolonge cette procédure de secours jusqu’au 31 décembre 2023.
Depuis le 1er juillet 2023, le Guichet Unique est pleinement opérationnel, offrant aux utilisateurs la possibilité d’effectuer en ligne les formalités suivantes : création d’entreprises, cessation d’activité, modifications concernant les personnes physiques ou les sociétés, ainsi que le dépôt des comptes.
Société par actions simplifiée (SAS) : abus d’égalité
Au sein d’une société, l’abus d’égalité se manifeste lorsque l’une des parties impliquées adopte un comportement qui va à l’encontre de l’intérêt de la société en entravant une opération essentielle, dans le but de favoriser ses propres intérêts au détriment de l’autre partie associée.
Le 21 juin 2023, la Cour de cassation a statué sur un litige portant sur un abus d’égalité et opposant les sociétés Transalliance Europe et Transwaters à la société Bourgey Montreuil.
Dans les faits, Transalliance Europe et Bourgey Montreuil ont créé la société Transwaters, où elles détiennent respectivement une participation à hauteur de 50 % au sein du capital social. L’objectif de Transwaters était de coordonner les activités de transport terrestre pour le compte de Nestlé Waters. Cependant, en 2017, la société Nestlé Waters a annoncé à Transwaters son intention de restructurer son système de gestion des transports, remettant ainsi en question leur relation contractuelle établie.
Le litige porte sur le refus de Transwaters de proposer une offre de contrat transitoire à Nestlé Waters, à la suite d’une résolution rejetée lors d’une assemblée générale en novembre 2017. Les sociétés Transalliance Europe et Transwaters ont par la suite assigné la société Bourgey Montreuil en justice pour abus d’égalité et manquement au devoir de loyauté. En réponse, Bourgey Montreuil a déposé une demande reconventionnelle pour le paiement d’une facture impayée.
L’arrêt de la Cour de cassation a partiellement cassé la décision de la cour d’appel de Chambéry rendue le 28 septembre 2021.
Dans le cas en l’espèce, Bourgey Montreuil a adopté un comportement abusif envers Transalliance Europe en ne respectant pas les principes d’égalité et de loyauté établis dans leur relation contractuelle. De plus, lors de la prise de décisions déterminantes pour l’avenir de leur entreprise commune (= Transwaters), Bourgey Montreuil a privilégié ses intérêts personnels, agissant ainsi de manière préjudiciable.
Nouvelle obligation pour les entreprises multinationales : déclaration d’informations sur l’impôt sur les bénéfices
L’ordonnance du 21 juin 2023 impose aux sociétés commerciales, établies à l’étranger et dont le chiffre d’affaires dépasse 750 millions d’euros sur deux exercices consécutifs, d’établir, publier et mettre à disposition un rapport sur l’impôt sur les bénéfices.
Les sociétés sans siège social dans l’Union Européenne, mais ayant une succursale en France avec un chiffre d’affaires supérieur à 12 millions d’euros sur deux exercices consécutifs, sont également soumises à ces obligations.
Le rapport devra inclure les activités de la société concernée, ainsi que celles des sociétés qu’elle contrôle, le cas échéant. Les informations à mentionner dans le rapport incluent notamment : les bénéfices ou pertes avant impôts, l’impôt sur les bénéfices dus et l’impôt sur les bénéfices payés.
En 2022, la problématique de l’impôt sur les bénéfices des entreprises opérant à l’échelle internationale était déjà source de débats. Le 15 décembre 2022, les 27 États membres de l’Union européenne ont approuvé la mise en place d’un impôt mondial sur les multinationales. Cette taxe,, fixée à un taux minimum de 15 %, est prévue pour la fin de l’année 2023.
Engagement à titre personnel d’un dirigeant de société
« L’aval » désigne l’engagement pris par une personne (appelée « avaliste » ou « donneur d’aval »), afin de garantir l’exécution d’une obligation contractée par un souscripteur ayant préalablement signé un effet de commerce.
Dans un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 15 juin 2023, il est rappelé qu’en l’absence d’autres éléments accompagnant la signature, l’aval signé par le dirigeant de la société l’engage personnellement.
Dans les faits, un dirigeant de société a avalisé un billet à ordre émis par cette société en signant simplement au recto du billet. En appel, les juges ont débouté le demandeur, estimant que le dirigeant avait rectifié le billet en précisant qu’il s’engageait en tant que dirigeant du souscripteur. Le demandeur s’est pourvu en cassation, arguant que le dirigeant était engagé en son nom personnel, puisqu’il avait signé le billet sans autre précision.
La Cour de cassation rappelle que le dirigeant de société qui avalise un billet à ordre par sa seule signature est personnellement engagé. En l’espèce, le billet à ordre ne comportait que la signature de l’avaliste, ce qui implique que seul le dirigeant est tenu en tant qu’avaliste. Ainsi, la Cour confirme le principe de l’engagement personnel du dirigeant de société avaliste, sauf mention contraire.
La présente affaire met en évidence l’importance du respect du formalisme ad validitatem en matière d’aval, en soulignant que des mentions contraires spécifiques sur le billet à ordre peuvent modifier l’engagement du dirigeant et impliquer la responsabilité de la société.
Conclusion
Ces mois de juin et juillet ont été caractérisés par des développements significatifs dans le domaine du droit des sociétés, reflétant les défis actuels auxquels cette branche du droit est confrontée dans un monde en évolution constante.
Les récentes décisions de la Cour de cassation concernant l’abus d’égalité au sein des SAS et l’engagement personnel des dirigeants illustrent par exemple l’importance de préserver l’équité et la loyauté dans un environnement en mutation. De plus, la prolongation de la procédure de secours du Guichet Unique et l’introduction de nouvelles obligations de déclaration fiscale pour les entreprises multinationales soulignent la volonté d’adapter les cadres juridiques aux exigences du monde numérique et de promouvoir une plus grande transparence dans les activités des sociétés.