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Déontologie et discipline des notaires : les mesures phares de la loi du 22 décembre 2021

Thierry Wickers - Avocat Associé

Article rédigé par : 

 

Thierry WICKERS

Avocat en droit des sociétés

A propos de Thierry Wickers : 

 

Thierry Wickers a prêté serment en 1978 et exerce aujourd’hui au sein de la société d’avocats bordelaise Elige. Spécialiste en droit bancaire, en droit des garanties, des sûretés et des mesures d’exécution et en droit maritime, il s’est illustré dans chaque fonction ordinale qu’il a occupé. D’abord élu bâtonnier du Barreau de Bordeaux puis président de la Conférence des bâtonniers et président du Conseil National des Barreaux, il est désormais troisième président du Conseil des barreaux européens. Il est également l’auteur d’ouvrages de référence et contribue, grâce à ses publications régulières, à la diffusion du savoir juridique.

Cabinet : https://elige-avocats.com/

La loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire avait affirmé la nécessité, pour « renforcer la confiance du public dans l’action des professionnels du droit », d’une réforme en profondeur des règles régissant la déontologie et la discipline des différentes professions réglementées du droit, dont la profession de notaire.

Les articles 31 à 40 de la loi avaient déjà fixé un cadre général à la réforme (applicable également aux avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, aux commissaires de justice et aux greffiers des tribunaux de commerce).

Ce cadre est complété par l’ordonnance n° 2022-544 du 13 avril 2022 relative à la déontologie et à la discipline des officiers ministériels. Elle comporte des dispositions communes à tous les officiers ministériels, et des dispositions spécifiques à chacune des professions concernées. L’intervention de cette ordonnance était prévue par l’article 41 de la loi. Elle se substitue aux articles 31 à 40 de la loi qu’elle abroge.

S’agissant des notaires, son intervention a pour conséquence l’abrogation de (article 34) l’ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et l’adaptation de l’ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945 modifiée relative au statut du notariat, pour la rendre compatible avec le nouveau dispositif.

Les dispositions de l’ordonnance doivent entrer en vigueur le 1er juillet 2022 (à l’exception de l’article 3). Même si elle doit encore être complétée par différents décrets, on peut déjà identifier les axes principaux de la réforme.

Assurer le traitement effectif des plaintes et renforcer les droits du plaignant

Bien évidemment, le procureur général (art. 5) conserve son rôle de surveillance traditionnel, et il est libre de demander directement des explications à n’importe quel professionnel. Le président du conseil régional ou interrégional des notaires (et non plus le président de la chambre), peut également se saisir d’office.

Surtout, ce dernier est désormais chargé de recevoir les plaintes et de traiter les réclamations. Par voie de conséquence les articles 4 et 5 de l’ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945 ont été modifiés, pour transférer ces pouvoirs de la chambre au conseil régional ou interrégional des notaires, en la personne de son président.

Le dépôt d’une plainte entre ses mains devient en même temps une condition de recevabilité de l’action disciplinaire (article 14).

Les plaintes des tiers (client, confrère…) adressées au président du conseil régional ou interrégional des notaires, doivent faire l’objet d’un enregistrement et d’un accusé de réception, conformément aux exigences du code des relations entre le public et l’administration, auquel l’ordonnance se réfère de manière expresse.

Le contradictoire est assuré par l’obligation d’inviter immédiatement le professionnel mis en cause à présenter ses observations. 

Différentes études relatives aux relations entre clients et professionnels du droit ont montré que dans de nombreux cas, un déficit de communication (de la part du professionnel) était à l’origine des difficultés. Souvent, une conciliation permet de donner satisfaction au client.

Cette conciliation est prévue par l’ordonnance (article 4), si la réclamation paraît sérieuse, et que sa nature est effectivement compatible avec une tentative de conciliation. Si ces conditions sont réunies, les parties sont convoquées pour la conciliation, en présence d’un notaire. Le fait que la conciliation aboutisse ne constitue cependant pas nécessairement un obstacle à une poursuite disciplinaire ultérieure.

Lorsque la nature de la réclamation ne permet pas d’envisager une conciliation, ou encore lorsque la réclamation apparaît manifestement abusive ou mal fondée, aucune conciliation ne sera proposée.

La transparence est renforcée, avec l’obligation, dans tous les cas, d’informer le plaignant et le notaire mis en cause des suites réservées à la réclamation.

Enfin, lorsqu’aucune suite disciplinaire n’est donnée à la réclamation, le plaignant est également informé de son droit de s’adresser au Procureur général, ou même de saisir la juridiction disciplinaire.

Le procureur général dispose naturellement du pouvoir d’exercer l’action disciplinaire. Il en est de même pour le président du conseil régional ou interrégional des notaires. Ce qui est logique, dès lors qu’il est devenu le destinataire des plaintes.

Pour répondre aux problématiques nouvelles liées au fait qu’une même société de notaires peut être titulaires d’offices situés dans le ressort de plusieurs conseils régionaux ou interrégionaux, le président du Conseil supérieur du notariat reçoit compétence pour exercer l’action disciplinaire dans cette hypothèse.

Deux mesures sont enfin prises pour lutter contre la tentation « d’enterrer les plaintes » :

  •  Le Président du Conseil supérieur peut se substituer à un président de conseil régional ou interrégional défaillant après l’avoir mis en demeure
  • Le plaignant peut toujours, nonobstant le refus du président du conseil régional ou interrégional de donner une suite disciplinaire à sa plainte, saisir la juridiction disciplinaire

« Professionnaliser » les juridictions disciplinaires

C’est à un vrai bouleversement que l’on assiste. Il est vrai que le système actuel, qui faisait appel d’une part aux chambres de notaires, d’autre part aux juridictions de droit commun, était à la fois illisible et peu efficace. La volonté est clairement de « professionnaliser la discipline ».

Les instances disciplinaires sont définies comme des juridictions (article 13) auxquelles s’applique le titre I du livre 1er du code de l’organisation judiciaire.

Elles obéissent au principe de l’échevinage et sont présidées dans tous les cas par un magistrat professionnel. Au premier degré, les professionnels sont majoritaires ; en appel ce sont les magistrats professionnels, en activité ou honoraire (de moins de 71 ans), qui le sont.

Les membres des juridictions disciplinaires et leurs suppléants sont nommés par arrêté du ministre de la justice pour une durée de trois ans, renouvelable une fois.

La « professionnalisation » passe donc par le recours délibéré à des juges disciplinaires spécialisés dans le contentieux disciplinaire, et en nombre restreint. Ce qui est ici favorisé, c’est la recherche de compétence, chez les acteurs du contentieux disciplinaire.

Les magistrats sont nommés sur proposition du premier président de la cour d’appel compétente ou du premier président de la Cour de cassation.

Les notaires sont nommés sur proposition du CSN (pour la cour nationale) et par les chambres régionales (pour les chambres de discipline).

Au premier degré, on trouve dix chambres de discipline, instituées auprès des chambres régionales ou interrégionales des notaires désignées par l’arrêté du ministre de la justice du 22 avril 2022. Elles sont composées d’un magistrat du siège de la cour d’appel, et de deux notaires.

L’instance d’appel est la cour nationale de discipline auprès du Conseil supérieur du notariat. Elle est composée de trois magistrats et deux notaires. Le président est un magistrat du siège de la Cour de cassation. Les autres magistrats appartiennent à la cour d’appel.

Les pourvois sont jugés par la Cour de cassation. Le pourvoi est ouvert au procureur général.

Les juridictions disciplinaires seront également chargées, dans les conditions fixées par un décret en Conseil d’Etat, de se prononcer sur les cas d’empêchement ou d’inaptitude à exercer des notaires.

Assurer l’instruction des dossiers disciplinaires

Chaque chambre de discipline doit être dotée d’un service d’enquête. Il s’agit, là encore, d’améliorer l’efficacité de la discipline, en permettant à la juridiction disciplinaire de disposer d’un dossier plus solide.

Le service d’enquête pourra être saisi selon des modalités qui seront définies par décret en Conseil d’Etat par :

  • le président du conseil régional ou interrégional des notaires ou le président du Conseil supérieur du notariat
  • le procureur général
  • la chambre de discipline, dans le cadre de ses pouvoirs d’instructions

L’article 10 précise que l’enquête est conduite en toute indépendance, il ne précise pas qu’elle doit être impartiale (mais les enquêteurs ne peuvent pas siéger au sein des chambres de discipline) et contradictoire. On voit mal cependant comment il pourrait en être autrement.

Le notaire est tenu de collaborer à l’enquête, en répondant aux convocations et en fournissant tous les renseignements et documents qui lui sont demandés, sans pouvoir opposer le secret professionnel.

Un décret en Conseil d’Etat fixera la composition du service d’enquête et la manière dont ses membres seront désignés, ainsi que les modalités du déroulement de la procédure d’enquête.

Moderniser l'échelle des peines

La modernisation de l’échelle des peines passe par deux mesures principales :

  • la refonte de l’échelle des peines pour la rendre plus progressive
  •  l’apparition des sanctions disciplinaires

Puisque le rappel à l’ordre peut être prononcé en dehors de la procédure disciplinaire (article 6), l’échelle des peines débute désormais avec l’avertissement et peut aller jusqu’à la destitution. Dès lors que les notaires honoraires restent soumis à la discipline (article 7), ils peuvent être sanctionnés par le retrait de l’honorariat. 

Les peines disciplinaires personnelles sont :

1° L’avertissement ;

2° Le blâme ;

3° L’interdiction d’exercer à titre temporaire pendant une durée maximale de dix ans ;

4° La destitution, qui emporte l’interdiction d’exercice à titre définitif ;

L’interdiction temporaire peut être assortie du sursis (total ou partiel). Le sursis est automatiquement révoqué (sauf décision motivée), si une nouvelle peine disciplinaire est prononcée dans les cinq ans de la première.

Les peines financières peuvent être prononcées à titre alternatif, ou cumulatif avec les peines personnelles. Elles prennent la forme d’amendes (les notaires salariés ne sont pas concernés) qui peuvent atteindre 10 000 € ou (alternatif) 5% du CA annuel HT du professionnel. Là aussi le sursis est possible.

Dans la mesure où les mêmes faits peuvent aussi donner lieu à des poursuites pénales, il est prévu que le total de l’amende pénale et de l’amende disciplinaire ne peut dépasser le maximum légal le plus élevé.

Les peines peuvent être prononcées contre les personnes physiques ou morales (en ce qui les concerne un décret en Conseil d’Etat devra apporter des précisions sur l’application de certaines sanctions disciplinaires comme l’interdiction temporaire et la destitution).

Les décisions peuvent faire l’objet d’une publication, aux frais de la personne sanctionnée, à titre de sanction accessoire.

Les peines disciplinaires peuvent se cumuler avec celles prononcées en application de l’article L. 561-36-3 du code monétaire et financier.

Une attention particulière doit être portée à cette redoutable mesure que constitue la suspension provisoire.

La suspension provisoire n’est naturellement pas une peine, mais son prononcé a évidemment des conséquences très lourdes pour le notaire concerné.

Désormais, la compétence pour prononcer une suspension provisoire est attribuée au président de la juridiction disciplinaire, à la demande d’une des autorités compétentes pour exercer l’action disciplinaire.

La suspension est prononcée si l’urgence ou la protection d’intérêts publics ou privés l’exige, contre le notaire qui fait l’objet d’une enquête ou d’une poursuite disciplinaire ou pénale.

Sauf dans les cas où l’action disciplinaire se double de poursuites pénales engagées pour les faits qui fondent la suspension, celle-ci ne peut excéder une durée de six mois, renouvelable une fois. Elle cesse de plein droit à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la clôture de l’enquête. Elle cesse également de plein droit lorsque l’action disciplinaire ou l’action pénale s’éteint.

Elle peut, à tout moment, être levée par le président de la juridiction disciplinaire si des éléments nouveaux le justifient.

La décision de suspension est susceptible d’appel devant la cour nationale de discipline

A ce stade, il est beaucoup trop tôt pour affirmer que cette réforme renforcera la confiance du public vis-à-vis des notaires. En revanche, elle devrait considérablement renforcer l’efficacité des actions disciplinaires. C’est probablement son véritable but.

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